Marie J. Roy ::: arts visuels

L’INSAISISSABLE JULES

Dès l’instant où Jules m’a été présenté, je savais que je devais faire un projet photo montrant cet insaisissable personnage dans son univers, son quotidien. Mais quel était le véritable sujet? Certes, Jules projette une image déstabilisante pour qui le regarde : cet homme de plus de soixante-dix ans, au corps musclé et au parler viril, qui s’habille en femme et porte… des seins. Une véritable curiosité!

Le corps est davantage qu’une simple structure de chair et d’os. Il parle. La posture, les gestes, le maquillage ou la coiffure nous définissent. Ils révèlent parfois même ce que nous aimerions cacher. La société actuelle voue un véritable culte à l’aspect physique. Il devient presque difficile de ne pas juger les gens par leur apparence : celui-ci est court et trapu, celui-là est grand et mince. Des stéréotypes qui, selon chaque peuple, représentent un idéal de perfection ou son contraire.

La femme girafe du Myanmar qui porte un collier en laiton de près de 25 kg autour du cou; les membres de la tribu Mursis en Éthiopie dont les oreilles et les lèvres sont percées, puis ornées de larges rondelles de bois qui les déforment; deux exemples extrêmes de modifications corporelles qui, pour le Nord-américain, peuvent sembler exagérées, mais qui deviennent des critères de beauté dans un autre contexte. La société dans laquelle nous évoluons définit et véhicule ses normes et ses valeurs, forçant ses citoyens à se couler dans un moule de conformité qui dicte ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. L’effet de masse devient tel, qu’il est difficile de se dégager des clichés de ce qui est acceptable ou non aux yeux de tous.

«Les autres, je m’en fous!», s’exclame Jules lorsque je lui demande comment les gens le perçoivent.

La maison de Jules est modeste. Il l’a construite lui-même. Sa chambre a une allure de friperie. Vêtements, chaussures, bijoux et autres parures encombrent la pièce et ne laissent que peu d’espace au lit. D’un des tiroirs, il tire fièrement sa nouvelle acquisition : un soutien-gorge Victoria’s Secret! «C’est rare que j’en trouve à ma taille», me dit-il sérieusement. «Je ne m’habille pas en femme, autant qu’une femme qui porte le pantalon s’habille en homme. Je m’habille au féminin.»

Citoyen d’un village de 594 habitants, la résidence de Jules se situe à l’intersection de la route 133 et du chemin du Moulin, à côté de la croix de chemin. Une rivière contourne de justesse le magasin général et l’église pour se perdre dans les nombreuses terres agricoles. L’air déborde de solitude. Je retrouve Jules à son travail. Vêtu d’une jupe de laine écossaise grise et noire à plis plats parfaitement pressés, rehaussée d’un chandail lilas à encolure ronde soulignant à merveille sa poitrine proéminente et ses abdominaux musclés, le tout accessoirisé de bas nylon trois quarts rouges rappelant la fine ligne de même teinte de sa jupe et d’une paire de sandales noires à semelles plateforme, il se met rapidement à l’ouvrage. Jules exploite une petite entreprise où il malaxe et coule le béton pour former des blocs de près de 45 kg.

«La première fois que je me suis habillé en femme, c’était pour un party d’Halloween. À cette époque, j’étais marié, mais ma femme ne se maquillait jamais. Tout ce qu’elle avait de féminin dans sa garde-robe, c’était une paire de chaussures à talons de 2 pouces et une robe pas très sexy. Je suis allé chez Jean Coutu et je me suis acheté du fond de teint, du rouge à lèvres, du fard à paupières… tout ce qu’il fallait pour mon déguisement. La jupe que je portais me frottait sur les jambes… j’ai aimé ça.»

Jules s’est fait poser des seins pour la première fois en 2004.

MEDIUM :

Photographie

ANNÉE / YEAR

2014

FORMAT / SIZE

50,22 x 33 cm
(19,75 x 15 po)

Série de 20 photos

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